Les 8 indispensables du numéro 106


KCIDY

Quelque chose de bien

(Vietnam)

Album « sixties » en vue ! À trente-quatre ans, KCIDY (Pauline de son prénom) sort son troisième disque, Quelque chose de bien… De bien rétro, joyeux, léger. Et ça fait du… bien ! En nouvelle Françoise Hardy (fonctionne aussi avec France Gall version début de carrière), la voix aiguë mais pas fluette, KCIDY s’autorise l’amusement, en proposant un opus dansant, enfantin et par moments planant. Avec habileté, elle jongle entre les instrus vitaminées, jazz ou pop, et les ballades plus épurées, entre synthés (faisant penser à L’Impératrice), piano, percussions et guitares funky (2020) ou acoustiques, comme dans Octobre qui clôt l’album avec une douceur bienvenue. Mention spéciale à J’ai tant attendu, dont la première moitié piano-voix nous transporte dans un film de Claude Sautet avant de s’habiller d’une batterie, puis d’un synthé qui nous emmènent ailleurs, aujourd’hui, et c’est bien aussi.

www.facebook.com/1.kcidy

Marion Mayer


FRED NEVCHÉ

Emotional data

(In/Ex)

Nevché, no format. Une fois de plus, le compositeur marseillais fait dangereusement tourner l’aïoli en proposant un ovni. Son disque le plus personnel, dit-il, paradoxalement déroulé à travers des sons synthétiques et des beats mécaniques. Onze titres minimalistes pour une délicate poésie électronique. Une claque à l’ère des usines à clics. Voix parlée-chantée, flow Méditerranée, posée sur nappes de synthés analogiques (La 3 du CD, Pandora), pour concilier l’organique et les machines. De-ci de-là, des notes de piano suspendues pour se rappeler « des nuits en plein jour / des minutes volées / des disputes automatiques / des transats sous le vieux cerisier » (Les jours, l’un des deux morceaux écrits par Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018). Chez Nevché, la Data prend corps, fuck les fadas des GAFAM et leurs algorithmes. Nevché remet l’humain au cœur du numérique et interroge sa place parmi les avatars. Intelligence non artificielle.

https://frednevche.com

Ben


JULIE LAGARRIGUE

Rendu les armes

(Le vélo qui pleure)

Ce double album a la singularité de comporter sur le premier disque les chansons de l’auteure-compositrice-interprète, et sur le deuxième, treize reprises de l’inénarrable Nicolas Jules. Se présentant comme les deux faces d’un miroir, ce disque permet à l’artiste d’explorer tous les recoins de sa personnalité complexe. Pour les morceaux dont elle est l’auteure, Julie Lagarrigue a choisi de se faire accompagner d’une grande diversité d’instruments (claviers, flûtes, cuivres, guitare, etc.), créant un univers particulier pour chaque morceau. À l’inverse, quand elle interprète Nicolas Jules, seuls son piano et sa voix sont présents, ce qui nous permet la redécouverte de ces titres par un prisme féminin très intimiste. Mais que ce soit pour ses compositions ou celles d’un autre, la force de Julie Lagarrigue réside dans la qualité et la sincérité d’une interprétation inspirée.

www.julielagarrigue.com

Julie de Benoist


ARASH SARKECHIK

Bazaari

(Blue Shine)

S’il y a bien un truc que l’IA n’égalera pas, c’est la complexité qui réside en chacun de nous. Cet enchevêtrement de vécu et d’expériences qui rend uniques nos ressentis et la manière dont nous les partageons. C’est cette complexité qui, lorsqu’elle est assumée, nous permet de créer sans cesse de nouvelles singularités, notamment musicales. Le nouvel album d’Arash Sarkechik, mélange de sons, de rythmes, d’instruments et de langues (persan, français) est une énième preuve que la diversité est une richesse. On y entend du rock, du blues, les rythmes et sonorités d’Afrique du Nord, et la puissance émotionnelle est sans limites lorsque chaque corde et percussion sonne individuellement tout en résonnant collectivement. Un album qui semble familier et étranger à la fois, mais surtout qui fait vibrer. Kurt Cobain chantait Come as you are, Sarkechik montre qu’il avait raison. À écouter !

www.sarkechikmusic.com

Groux


FÉFÉ

Helicoptère

(Chapter Two)

« Si le game est une course, j’arrive en hélicoptère », scande-t-il d’emblée. Oui, Féfé explose le jeu. Cela fait vingt-cinq ans, au sein du Saïan Supa Crew ou en solo, qu’il pose son regard acéré sur la société à travers son flow félin et ses vers aiguisés. Le « griot du pays de Verlaine » observe ses contemporains et prône le dialogue (Langues étrangères). Il tombe le masque dans Sourire de verre, pastille sautillante dans laquelle il évoque les violences de son père. Loin d’être une Falling star (en duo avec Son Little), même s’il appartient à la génération Baladeur (feat. Akhenaton), Féfé chante les victoires quotidiennes, sans naïveté, rappelant qu’on peut végéter en bas de la tour ou se poser à son sommet. Féfé alterne les mélopées chaloupées et les rythmes casse-bassin. À chaque titre sa couleur : soul, reggaeton, dancehall, beats afro-électro, pigment de rumba congolaise sur la claque Tout se vend. Féfé, c’est fort !

www.facebook.com/fefeofficiel

Youri


SOLANN

Monstrueuse

(Cinq7)

Elle se présente comme une « sorcière réconfortante » et c’est exactement ce qu’on aurait dit : Solann est envoûtante. D’abord grâce à sa voix, douce, légèrement voilée, vibrante. Par sa proposition musicale ensuite : des morceaux tout en nuances, qui passent du murmure au cri, du calme à l’urgence... Dans sa dernière chanson, Monstrueuse, la jeune artiste démarre seule, a cappella, puis sa phrase « Jamais j’oserai » se transforme en une polyphonie ensorcelante, chœur mystique. À travers ces six titres se dessine un désespoir poétique jamais geignard : celui d’une femme libre, forte, piétinée par le sexe opposé. D’une femme qui ose crier, à s’en déchirer les poumons, comme dans Rome : « Mais c’est une chienne qui a élevé Rome / Les putes comme moi portent les rêves des hommes. » On ressort de l’écoute remué, ému, avec l’irrépressible envie de replonger dans l’intensité de cet EP, qui agit bel et bien comme un sortilège.

www.facebook.com/solannzla

Marion Mayer


BRIQUE ARGENT

Le meeting

(Pont Futur)

Premier EP de la révélation 2023 (1er prix des iNOUïS du Printemps de Bourges et lauréat du Fair). Neuf pépites hypnotiques dans lesquelles Brique Argent raconte les montagnes russes adolescentes, les fantasmes de rodéos nocturnes (Meeting) et les crashs d’un jeune adulte. Toutes ces chutes qui assombrissent ses nuits blanches. Pour échapper à ses démons et à son village de la campagne stéphanoise, l’écorché vif avance à pas de loup, brique par brique, pose son parlé-chanté sur des nappes de synthés ou sur des piano-voix sur le fil (Raconter), puis, dans la foulée, sur des explosions techno-trash (Renverser) et des beats électro brutaux. L’artiste raffole des crescendos, illustration du chaos. C’est peu dire que ce sound designer aime travailler les dynamiques, calquées sur son ascenseur émotionnel. La vie, la mort, en une fraction de seconde. Musique à l’image, à la sauvage, composition façon court-métrage.

www.facebook.com/100068259240714

Ben


FRANÇOIZ BREUT

Vif !

(62 records)

Depuis la fin des années 90, Françoiz Breut nous accompagne régulièrement à travers de ses différents projets et collaborations, en tant qu’illustratrice ou chanteuse. Il s’agit ici du huitième album solo de la Bruxelloise d’adoption. Elle qui a souvent chanté les villes, effectue un retour aux sources en proposant un éloge de la lenteur, à l’esthétique épurée, dans lequel l’organique et le sensoriel sont à la racine des nouvelles chansons. La formation est réduite, composée de Marc Mélià, François Schulz et Roméo Poirier, pour un son chaleureux et enivrant. Ces douze titres sont une discussion avec la nature afin d’en mieux libérer l’âme. De son Ode aux vers aux Cavales animales, des Lichens aux Gazons et chatoiements, jusqu’à en Crever l’asphalte, tout est propice à l’introspection par la communion avec les éléments. La beauté et la force de la nature comme étendards face aux dérèglements et aux rythmes insensés.

www.francoizbreut.be

Mathieu Gatellier


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