
BRIGITTE FONTAINE - ARESKI BELKACEM
Baraka 1980
(Kuroneko Records)
Dans cette réédition, Brigitte Fontaine, poétesse inclassable de la chanson française, s’acoquine avec l’étrange et l’oriental Areski Belkacem. Plus qu’un album, une incantation. Les morceaux, portés par une instrumentation minimaliste et parfois orientalisante, révèlent une artiste à la frontière du théâtre, de la folie douce et de la lucidité sociale. Fontaine chante un monde absurde avec une voix blanche, un rien décadente, presque désincarnée. On y retrouve sa verve libre et ses jeux de mots acides, dans un univers entre transe berbère et avant-garde parisienne. C’est un album difficile, parfois déroutant, mais fascinant. Cette réédition redonne vie à une oeuvre trop méconnue, radicalement libre, qui illustre à merveille le génie d’une artiste hors norme. Fontaine ne se contente pas de chanter, elle profane les formats, dérange les codes, et nous laisse, comme toujours, étrangement ensorcelés.
Jean-Hugues Mallot

DEBOUT SUR LE ZINC
Mémoire électrique
(DSLZ)
Ne pas s’asseoir ni se contenter de son succès, rester debout. Un peu sur le zinc, vers d’autres sommets. Ce nouvel album, le onzième du sextet francilien, « invite à écouter les échos du passé pour mieux se tourner vers le lendemain ». Vers des horizons moins festifs et plus électriques, lézardés par les cordes saturées sur les habituelles grilles folk et chanson. Textes ciselés, imagés, abordant le temps qui file, la quête d’ailleurs, de soi, les exils, les modes exit, cette longue conjugaison intime, allant du sépia d’antan aux aplats futurs. Le tout habillé de cordes lointaines (banjo, mandoline, guembri et morin khuur, vièle à deux cordes mongole), de cuivres chauds ou clinquants, de peaux frappées, de xylophone, de Wurlitzer, de cornemuse et autres joyeusetés du coffre à jouets musicaux. Vois comme je suis, exhorte DSLZ, d’une voix posée, avant de finir en supplique fiévreuse, cordes sous disto et banjo boitillant. Dézingué.
Ben

PASCAL RINALDI
Réinventer l’espoir
(Du Sens et Du Son)
La Suisse peut nous offrir de grands artistes : Stephan Eicher, Jérémie Kisling mais aussi Pascal Rinaldi. Né à Lausanne au début des années 1960, Pascal a baigné tout jeune dans le grand bain de la littérature et de la poésie avant de se lancer dans la chanson. Il est l’auteur et le compositeur de plus d’une dizaine d’albums. Sur scène, il a acquis une reconnaissance bien au-delà des frontières européennes. Passé maître dans l’art de la précision stylistique, il signe avec Réinventer l’espoir un magnifique roman en quinze chapitres au sommet de sa saga artistique. Quelle clairvoyance de débuter avec Je n’ai rien dit, le brûlant texte de Martin Niemöller, avant d’écrire ses chansons à lui, sans faux effet de style, simplement fortes et délicates. Celles d’un artiste majuscule : « Puisqu’on a si peu de mémoire / Je me méfie du temps qui passe / Puisqu’on n’attend rien de l’histoire / Et qu’on l’oublie de guerre lasse… »
Lucien Clément

LÉONIE PERNET
Poèmes pulvérisés
(Infiné / CryBaby)
Si vous découvrez Léonie Pernet avec ce troisième album, vous rencontrerez une artiste qui allie une sensibilité aiguë et une intelligence au monde inouïe. À travers ses onze titres lumineux, ce disque va asperger vos oreilles et votre coeur d’une myriade de couleurs et de sensations. Poétesse, compositrice et interprète, Léonie pratique le parlé-chanté, le cri et la chanson. Elle a l’art de vous inviter dans un univers où influences et créations mêlées marient l’électro et le tribal, le guttural et le raffinement extrême. Il est dit que son opus a été irrigué par la découverte du vers de René Char : « J’ai pris ma tête comme on saisit une motte de sel et je l’ai littéralement pulvérisée. » Crave en 2018, Le cirque de consolation en 2021 et ce petit bijou, aujourd’hui, font de Léonie une personnalité d’exception. « Je suis un souvenir qui frappe à l’envi / Je mange et je dors à l’endroit de l’oubli… », chante-t-elle. Une merveille !
Didier Beaujardin

KEREN ANN
Paris amour
(Bring Back Music)
Déjà vingt-cinq ans que Keren Ann, compositrice et interprète élégante, dans la lignée de Françoise Hardy, balade ses ballades mélancoliques à travers le monde. Mais elle finit toujours par revenir à Paris, son port d’attache et thème de son nouvel opus. Son Paris amour, « comme un vieux fado qui vient de loin », est un classique pop immédiat et un geste d’amour pour cette capitale qui peut être implacable avec ceux qui souffrent de La sublime solitude. L’album mêle subtilement résonances électro et textures acoustiques, notamment sur Comme si la mer se divisait et Les désirs fatigués des navires d’argent, sur lesquels tombe une pluie fine de cordes. Son esthétique intemporelle aux échos seventies est addictive. L’écho des tirs, chanson haletante sur le désir, est magnifiquement accompagnée par la trompette jazzy d’Avishai Cohen. La musique à fond est un titre up tempo irrésistible au refrain imbattable. Paris amour est déjà un classique.
Sam Olivier

ODEZENNE
Doula
(Universeul)
C’était en 2011. Nous avions invité Odezenne à venir se produire au Canal 93 à Bobigny (93), en ouverture de Pigeon John dans ce haut lieu du rap live. Quelle claque pour les quelque deux cents chanceux présents ! Car ce groupe sonnait déjà comme personne avant lui. Flows nonchalants et conscience aiguisée, comme un Velvet Underground armé d’une MPC. Quinze ans plus tard, nos trois Bordelais sortent ce nouvel album et nous déglinguent une nouvelle fois. La sobriété quasi minimaliste des prods qui a souvent caractérisé le groupe atteint, ici, un summum compensé par la justesse du traitement des textures et du son. Et comme dans le même élan les phrasés et les textes n’ont jamais été interprétés avec autant de justesse dans leur lumineuse causticité, nous restons hébétés par tant de justesse. Alien du rap et de la chanson française, Odezenne se construit un patrimoine musical en haute altitude dont le temps mesurera l’importance.
Alex Monville

LES HURLEMENTS D’LÉO
Sirocco
(At(h)ome)
C’est le retour des Hurlements d’Léo ! Sirocco, leur nouvel album, marque aussi le retour d’Erwan au chant aux côtés de Laurent Kebous. Et quel réel plaisir de retrouver ce binôme derrière les micros ! Douze titres composent ce coup de vent chaud. Dès le premier, Il en faudra des soleils, on retrouve la symbiose vocale des deux compères. Cet album est très varié musicalement, avec, comme d’habitude, des sonorités issues de tous horizons : parfois oriental, comme dans le titre d’ouverture, plus rock dans Sirocco ou D’autres rêves, sans oublier la touche fanfare qui, dans Indian sunday pelouz, est mélangée à de l’électro et à un flow urbain, et enfin une touche de tango dans Matador. Voici un disque très riche qui ne déçoit pas, tant par les arrangements que par les textes ciselés. Sirocco parle d’amour, de plaies sociales, des laissés-pour-compte. Oui, « il en faudra des soleils pour sécher tes larmes, des orages pour laver ta peine ».
Franck Inizan

SAM SAUVAGE
Sam Sauvage
(Cinq7 / Wagram)
Un souffle brut, porté par une voix qui accroche instantanément l’oreille, grave et éraflée, comme si elle sortait tout droit du fond d’une nuit trop longue. Sam Sauvage signe un premier EP à la fois profondément ancré dans le réel et traversé d’une poésie sans filtre, une oeuvre sensible qui ne cherche pas à plaire, mais à dire avec une franchise touchante, souvent désarmante. Dans Les gens qui dansent, il dresse le portrait d’un monde en mouvement, entre métro, bistrot et silences lourds. Avec Pas bourré, il transforme la figure du noctambule en un héros bancal, vacillant, mais lucide. Chez Sam Sauvage, la fête flirte avec la solitude, l’éclat avec la fêlure. Chaque morceau capte l’instant avec justesse, qu’il soit mélancolique (Ali roule de nuit), amoureux (Dans le photomaton) ou viscéralement vivant (La fin du monde). Entre chanson, électro et rock débraillé, voici une entrée en matière vibrante et profondément humaine.
Quentin Börner-Hingrand
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