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Garance et Gervaise, redéfinissent la chanson au féminin

Par Stéphanie Berrebi

C'était une belle soirée, comme souvent sur le Bateau El Alamein, haut lieu résistant de la chanson indépendante.

J’ai malheureusement manqué de peu Sophie Le Cam, invitée surprise, venue chanter quelques chansons. Ça n’est que partie remise avant de revoir cette chanteuse espiègle qui sera ce mardi 15 octobre au Lavoir Moderne Parisien, et vendredi 18 en direct sur Radio Campus Paris avec Thomas Fersen, pour l’émission TriFaZe que je co-présente avec Laurent Coudol (Froggy’s Delight) et Cyril Adda.

 

 

J’arrive donc au tout début du set de Garance. Il y a quelques jours, la chanteuse annonçait sur les réseaux sociaux que son premier album fêtait ses 10 ans. Alors que je la voyais triturer sa guitare au gré des histoires qu’elle raconte, je repensais à la Garance d’il y a dix ans, que je découvrais lors des sélections du Grand Zebrock. On savait qu’elle avait un gros potentiel, une voix magnifique et un vrai sens de la mélodie. Impossible d’oublier, même dix ans après, sa chanson Gare du Nord et son refrain obsédant. Mais à cette époque, Garance c’était aussi cette chanteuse un peu timide qui se cachait derrière sa guitare et son innocent (naïf?) romantisme. Dix ans, dans la vie d’une personne, dans la vie d’une femme, dans la vie d’une artiste, c’est forcément énorme. La vie est faite de coups, de blessures, de remises en questions mais aussi (heureusement) de belles rencontres … De choses qui nous font évoluer et dans le cas de Garance, progresser. 

Dix ans, c’est le temps d’affirmer une personnalité aujourd’hui bien trempée, de trouver les mots justes pour exprimer ses colères et celles de toutes les femmes. Lorsqu’elle chante Prends les coups (un titre explicit) ou Je n’écrirai pas de chanson sur toi, adressée aux harceleurs de rue, elle chante pour nous toutes. Elle n’a pas attendu les hashtags qui ont excité la toile en 2018 pour exprimer cette colère, cette peur avec laquelle toutes les femmes apprennent à vivre. Par ses chansons, elle les exorcise. Garance a fait de sa guitare sa complice et ses compositions sont celles d’une femme qui a viré l’eau de son vin. C’est salvateur. 

 

Autre femme, autre style … Gervaise qui se présente comme la « Blonde à paillettes »,  fait une entrée sur scène fracassante, avec son titre Comme une bombe, en mode « Bad ass » comme elle dit. Je l’avais vue sur de nombreux tremplins, où sur des scènes partagées où elle faisait peu de chansons. J’étais déjà séduite par ce personnage, ses chansons pop-rock entêtantes, particulièrement le titre très réussi Sans anesthésie avant de la découvrir, enfin, sur un concert entier. Voir l'intégralité de son show m’a confortée dans cette idée que je m’étais faite d’elle, cette sorte de Marylin 2.0, cette femme qui répond à tous les « standards de beauté », et qui s’en retrouve fragilisée …

Elle séduit pour se sentir moins seule, elle en rajoute pour dompter ses peurs. Le concert de Gervaise expose la femme dans toute sa complexité, une femme à paillettes qui se dévoile petit à petit, soutenue par ses deux musiciens multi-instrumentistes aux claviers, pads, basse et guitare. Elle se montre aussi excellente en a capella, lorsqu’elle flirte avec le slam, notamment pour évoquer son double maléfique, celui qu’on a tous, qui nous pousse à faire des choses qu’on finit par regretter … ou pas.

La bad ass change rapidement de veste, laisse tomber les paillettes pour un style plus sobre. C’est aussi à ce moment-là que le personnage laisse place à la personne. Elle nous émeut, nous fait frissonner  avec sa voix sur le fil. C’est là qu’elle expose les complexes, la solitude, la mélancolie, les chagrins d’amour. Son propos aussi simple puisse t'il paraître, rappelle que la blonde à paillettes (l’exubérante)  est avant tout une femme, une combattante, qui lutte à sa manière contre ses démons, son masque l'aide à les surmonter, les dompter, les éviter. Gervaise incarne à merveille la dualité, la complexité humaine.  Elle chante et slamme, elle est aussi bien sur le fil que rock ‘n’roll, fragile et exubérante. Une femme belle par sa sincérité.