Les 8 indispensables du numéro 87


ROSIE VALLAND

Blue

(Secret City Records)

Retour scintillant de la Canadienne au détour d’une nouvelle aventure, azurée cette fois-ci, dont les contours embrassent avec élégance les emblèmes d’une pop moderne et redoutable. Ô combien précieuse, Rosie Valland se fait la messagère d’un chaos magnifique aux sonorités rétro-chic et élégantes, qu’on pensait presque alors l’exclusivité d’une certaine Clara Luciani. Qu’à cela ne tienne, l’auteure-compositrice-interprète ici s’enhardit elle aussi de refrains imparables et bâtit un répertoire à l’attachement émotionnel quasi-immédiat, grâce à une efficacité mélodique indiscutable d’une part (Chaos, Sinon, Blue, Du même sang) et une force évidente dans l’écriture d’autre part, qu’elle parvient sans difficulté à mettre au service d’un message touchant et éblouissant. Si le bleu eut un jour été une couleur froide, plus de doute qu’elle est désormais de celles qui réchauffent le cœur.

www.rosievalland.com

Xavier Lelievre


ERWAN PINARD

L’indicible (Treize titres tristes)

(Samedi 14)

Alerte rouge ! Un volcan d’Auvergne, actif depuis 2007, vient d’entrer en éruption dans la région lyonnaise. Son nom, Erwan Pinard. Professeur de trompette à la ville. Vedette de la chanson à la scène. Critique bio gastronomique lorsqu’il est à Auchan (Supermarché), homme à la solitude surpeuplée (Ô solitude). Il se Gainsbourg la gueule, en Joe Dassin de fin du monde. Cet Edi-Kafkaïen, spiritueux et drôlatique, poète rauque punk and rollesque, aux mots rouges blue’s. Son premier album contenait des sulfites, le deuxième tentait de sauver les meubles d’un troisième à l’obsolescence programmée. Ce quatrième est Indicible. Treize titres tristes baignés par des chœurs angéliques, où l’amour y est disséqué, au scalpel de ses lucidités (Portrait chimique d’un cerveau amoureux). Ensemble brodé de cordes et notes classiques, aux balais caressants d’une batterie folk. Une des plus belles ivresses de l’année.

www.facebook.com/erwanpinardofficiel

Joseph Cervantès


MANSFIELD. TYA

Monument ordinaire

(Warriorecords)

Un album de Mansfield. TYA est toujours un événement en soi. Avec ce cinquième opus, le duo nantais composé de Rebeka Warrior et Carla Pallone envoie du lourd, du très lourd, poussant encore plus loin leur exploration de l’âme humaine et de ses méandres à travers ses textes à la belle noirceur. Une trame poétique délicieusement dark, servie par des arrangements aux petits oignons et une partition qui fait largement écho à la coldwave. En disciple assumé du regretté Jacno, la mélodie ici se fait minimaliste à la rencontre de voix en canon et de cordes en cascade, de boucles et de refrains entêtant pour laisser libre cours à l’énergie de la danse. Un album qui bénéficie en plus d’invités de luxe avec les rappeurs OVNI de Odezenne sur Le couteau et Une danse de mauvais goût ainsi que Fanfan de Bérurier Noir sur Les filles mortes, en forme d’échappée sauvage et rock’n’roll.

www.warriorecords.com

Fabrice Bérard


CAROLE MASSEPORT

En équilibre

(Yaqa Fauqtu)

Troisième album de Carole Masseport, toujours si délicate, harmonieuse et, en l’occurrence, En équilibre. La chanteuse retrouve ses compagnons de musique, ses chers Geoffrey Boo et JJ Nyssen. JP Nataf et Albin de la Simone sont de la partie aussi. A. Cluzeau et D. Ledudal ont réalisé, A. Campet a arrangé les neuf titres de cet opus frais et léger, tonique et poétique. Des thèmes plutôt graves sont traités sur un ton de légèreté, la reconduite à la frontière dans Garavant, par exemple. L’auteure livre ses émotions sans plomber l’auditoire, son écriture suspend les mots dans un flot d’indices sensibles, la voix limpide sait se montrer chatoyante. Dans Si elle m’aime, aucune clef n’est livrée, les allitérations en M entraînent les propositions qui doivent tout à l’imaginaire. Je souscris à cette forme d’expression pop élégante et signifiante. Très heureuse reprise de Hors saison de Cabrel pour clôre le tout, magique.

www.facebook.com/carole.masseport

Annie Claire


CABADZI

Bürrhus

(Le Cirque Absent)

Être ou paraître a toujours été un dilemme récurrent chez Cabadzi et c’est encore le fil conducteur de ce quatrième album. Empruntant ici le nom d’un psychologue et chercheur américain, le duo évoque les effets du conditionnement humain et dresse un constat sombre de la société actuelle. La noirceur et le fatalisme ont toujours été très présents dans l’univers de Cabadzi, qui engendre une fois encore une réflexion et une incitation naturelle à réagir et rebondir pour nous protéger nous-mêmes et nos générations futures… Entre chanson et hip-hop, le curseur musical ne cesse de se déplacer, tout en se réinventant perpétuellement. Les rythmiques sont aussi minimalistes que riches et l’écriture est toujours fine et visionnaire. En proposant ses propres codes et une façon singulière d’appréhender le monde et la musique, le duo fait réellement preuve de cohérence, d’originalité et d’authenticité.

www.cabadzi.fr

Nicolas Claude


TITI ZARO

L’hymne des louves

(No Mad Music)

Sonne l’heure du retour des Gorgones, ces êtres dont les chants attiraient les marins afin de leur réserver un triste sort. Titi Zaro, duo de sirènes composé de Coline Linder et Oriane Lacaille, toutes deux multiinstrumentistes, s’est depuis agrandi, devenant sur scène un quartet et accueillant sur disque de nombreux invités dont Alexis HK en duo. Les douze titres chantés tantôt en français, tantôt en créole réunionnais, entre autres, côtoient les instrumentaux aux arrangements fouillés où les violons se mêlent aux percussions et le ukulélé à la scie musicale. La thématique des textes rend hommage à la Femme, aux Femmes, nous emmène par monts et par vaux, de l’histoire de cette prostituée transie de peur sur le boulevard (Gawé), la ségrégation (Bande Apartheid) mais aussi l’amour (Je reste là et Mi èm aou Malaika). La houleuse Chevauchée est un périple à elle seule, le Batan dé lam vous fait balloter au gré des vagues. Profond et inspiré.

www.titizaro.com

Julian Babou


ZENO

Petits textes entre amis

(Ours Muet)

Épatant et ambitieux projet que propose Zeno. Cet artiste, atteint par la maladie de Charcot a perdu l’usage de la parole. Pour porter sa voix, il a alors demandé à ses amis de le faire à sa place. Une vingtaine de musiciens, autant d’interprètes et de dessinateurs se sont réunis autour de lui pour proposer un livre au format bande dessinée agrémenté de deux disques. L’écriture de Zeno prend alors des dimensions et des formats multiples. Parfois chanson, hip-hop, ou rock, les titres se font swing, jazz et fusion selon les chanteurs. On découvre ici ou là de formidables interprètes qui mettent leur sensibilité ou leur colère au service de textes poignants (Fable, Elle m’a l’SLA, Mon art au diable). Chacun est illustré par un dessin, une peinture, une photo. Une œuvre totale, sans concession, qui redonne à la chanson ses valeurs initiales de partage, de solidarité et de fraternité. Une passerelle entre les gens et les genres.

www.da1zeno.com

Benjamin Valentie


THOMAS PITIOT

Chéri Coco

(Océan Nomade)

Thomas Pitiot est un artiste engagé. À l’heure où beaucoup au sein de cette corporation se désengagent de tout, sauf de leur carrière, il semblait important de souligner cette qualité, essentielle pour un auteur qui chante la vie des gens. Son neuvième album Chéri Coco est une ode à la vie, un hommage aux oubliés, une invitation à la fraternité. Quatorze titres empreints de poésie qui parlent du bonheur des uns, de la souffrance des autres. Les textes, sur des musiques rythmées par la chaleur africaine, nous relatent la fragilité des marins pêcheurs des Îles du Ponant (Ton île), les maux d’un poète trop amoureux de son verre (Le temps de picoler), les souffrances d’une enfant séparée de sa mère (Ta maman), l’importance des nourrices (De mèche). La chanson 93 Occitanie est un souffle de bonne humeur, insufflé par l’amour que porte Thomas pour ses deux régions de cœur. Ce disque fait partie des belles éclaircies de l’année 2021.

www.thomaspitiot.net

François Guernier


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