Les 8 indispensables du numéro 90


EMILY LOIZEAU

Icare

(Les Éditions de la Dernière Pluie)

Si les épisodes de confinement successifs ont souvent été redoutables et ô combien redoutés, il ne fait cependant aucun doute que leurs fruits créatifs se sont révélés parfois des plus savoureux. Preuve en est la douce et séduisante offrande qu’Emily Loizeau abandonne ici à son auditoire, chez qui résonnent encore les souffles velvetiens d’un projet hommage à Lou Reed, paru l’année dernière. Pas de réinterprétation de répertoire cette fois-ci (à l’exception d’une adaptation en français de l’espiègle Girl from the north country de Bob Dylan) mais l’écriture méticuleuse d’une série de titres aux sonorités métissées de comptines tantôt anglophones, tantôt frenchies (Le poids de l’existence ou Renversé et ses parfums de Dominique A) et de véhémences rock (We can’t breath, Eldorado). Une dualité à la fois tangible et vacillante, comme un tendre regard vers ses origines franco-britanniques.

www.facebook.com/emilyloizeau

Xavier Lelievre


SVINKELS

Rechute

(Cereal Killers Company / Baco)

Est-ce qu’une vie sans Svinkels vaut le coup d’être vécue ? Heureusement, malgré les gamma GT et le cholestérol qui explosent les compteurs, le groupe le plus punk de la scène hip-hop ressuscite enfin. Pour ceux qui les auraient oubliés, les Svinkels, ce sont trois MCs, Gérard Baste, Nikus Pokus et XanaX, soutenus par DJ Pone aux platines. Et difficile de dire qu’ils ont pris de la maturité avec l’âge. Appelez-les dorénavant les Bistrots boys, beaux, gros, alcooliques et survoltés. Rechute, c’est un flow 1664, la main sur le foie. Pour ce quatrième album, treize ans après Dirty Centre, les Svinkels abordent les même sujets dans quatorze nouveaux titres : les soirées sans limites et leurs lendemains difficiles pour raison de légers excès - « Putain, je me rappelle plus hier, mais tout le monde se rappelle de moi. ». Les punchlines n’ont pas perdu de leur verve, Le Svink’, c’est toujours chic.

www.facebook.com/svinkelsofficiel

Audrey Lavallade


BONBON VODOU

Cimetière créole

(Heavenly Sweetness / Idol / L’Autre Distribution)

Voici donc la toute nouvelle friandise sucrée-salée, voire pimentée de Bonbon Vodou. Le duo composé d’Oriane Lacaille et JereM nous régale de sa recette favorite : caisse en fer-blanc et charley en sac plastique, guitare au corps de bidon d’huile, kayamb et cuivres accompagnent des histoires chantées à deux voix en français et en créole. Ces sorciers du son et des sens sont entourés de l’accordéoniste René Lacaille et du maître Danyèl Waro et de sa voix si reconnaissable. Piers Faccini est à la réalisation de plusieurs titres et c’est Jean Lamoot (Bashung, Salif Keita, Noir Désir…) qui s’empare de l’enregistrement et du mix de ce bonbon doux et acide. Avec ce deuxième album imposant, le tandem invoque des esprits mystiques, voyage au-delà des océans et nous fait danser aux rythmes du sega et du maloya. Une douceur épicée qui régalera vos papilles auditives.

www.bonbonvaudou.fr

Grégory Couvert


HUCKLEBERRY FINN JR

En route pour la gloire

(La Maison dans l’Arbre)

La légende raconte que le compagnon de Tom Sawyer se serait embarqué un jour pour un voyage au long cours qui l’aurait mené jusqu’à la cité phocéenne. C’est en tout cas ce que prétend son descendant, Huckleberry Finn Jr. Lui aussi rêve de liberté, et chemine bon gré mal gré, En route pour la gloire. Et voici son premier opus qui fleure bon l’esprit de la Louisiane et de La Nouvelle-Orléans, entre bluegrass, folk et blues. On se laisse vite happer par cet univers où résonnent banjo, harmonica, guitare et guimbarde, mais aussi par ce personnage qui se fout royalement des convenances. Il est Happy Jr, conscient que même si un retour aux sources est parfois nécessaire (À la source), il faut aller de l’avant sans se poser de questions (En route pour la gloire). Vivre l’instant présent, pouvoir y laisser son empreinte (Quand j’partirai), toute sa philosophie de vie résumée en sept titres.

www.facebook.com/HuckleberryFinnJunior

Sandrine Palinckx


LOÏC LANTOINE et MARC NAMMOUR

Fiers et puissants

(La Station Service)

Choc des titans ? Rencontre au sommet ? Les superlatifs manquent lorsqu’il s’agit de qualifier la rencontre de ces deux amoureux des mots. Alors autant le dire tout de go, ce disque est largement à la hauteur de l’intérêt suscité. Soutenus par les musiciens de La Canaille au summum de leur forme, Marc Nammour et Loïc Lantoine entremêlent leurs mots, leurs scansions et leurs timbres pour conter les héros ordinaires. On est tour à tour émus par la tendresse (Les gens qui doutent), bousculés par la rage (Gloire aux perdants) ou transportés par la poésie (le phénoménal Supernova entre Arno, Pink Floyd et le Wu-Tang Clan), tout au long des neuf titres qui constituent ce qu’on peut d’ores et déjà qualifier de classique. Un disque rare, puissant et précieux, fier de ses origines populaires. Quand le meilleur du rap croise l’excellence de la chanson, on reste bouche bée. Chapeau bas. Merci messieurs.

Alex Monville


SAULE

Dare-Dare

(Trente Février / Pias)

La Belgique continue d’envahir le paysage musical francophone, pour notre plus grand bien. Chez Saule, on voyage. Dans la famille Benjamin Biolay, il pourrait être un proche cousin. C’est assez flagrant sur La tendresse (tu sais !) ou sur Je suppose, comme une musique de film des années 70, ou encore sur Quand l’amer monte, sublime chanson chargée de spleen. Le sourire reprend le dessus tout au long de Regarde autour de toi et du bluesy Tu boudes. La voix de Saule se marie à merveille avec celle de Cali (Avant qu’il ne soit trop tard) ou avec celle d’Ours (24 heures et des poussières). Dans la famille Souchon, d’ailleurs, il pourrait être un neveu admiratif. Un Rebelle rêveur. Mais pas que. Onze instants de pur bonheur et un bonus très étonnant. Les démons de minuit, de qui vous savez, pour une reprise, à la façon de Johnny Cash. Un magnifique album, à écouter Dare-Dare.

https://sauleofficiel.be

Eddy Bonin


RAKIA

À la racine

(Polydor)

Premier album coup de poing, riche en caresses, d’une artiste qui reconstitue le puzzle de sa vie. Dans ce manifeste contre le racisme ordinaire, Rakia chemine du Niger, son pays d’origine, à la Normandie de sa famille adoptive, où Rakia devient Anaïs. Dès le premier titre de l’album, Déchirer mon visage, l’artiste se met à nu : « J’ai encore déchiré mon visage. J’ai toujours cru qu’avec l’âge, ça s’effacerait / Qu’on m’effacerait. » Elle balance ses mots plein fer sur un délicat arpège de guitare folk ; pas de manière, elle taille dans l’os. Se fait la peau, littéralement. Dans ces chroniques en clair-obscur, Anaïs et Rakia se renfilent et se rassurent. Repérée par Orelsan au Cargö de Caen, la panthère noire affirme sa singularité plurielle, ses grands écarts entre les mélopées soul, le flow hip-hop, les teintes afrobeat et les couplets de chansonniers. De Tony Allen à Barbara. Chez elle, les racines ne sont jamais carrées.

www.facebook.com/rakiamusique

Benoît Merlin


LOUISADONNA

Fatigue

(BMG)

La prose farouchement féministe de Louisadonna déroule un flow électro-pop très léché. Si l’on s’attend à des textes suggérant en filigrane la rébellion contre la domination masculine, il faut passer son chemin. L’artiste porte haut les couleurs de son engagement, clitoris en exergue et orgasme féminin revendiqué. Puisque le masculin ne comprend que ça, Louisadonna tape où ça fait mal, sous la ceinture, sans oublier de tordre violemment l’esprit patriarcal. Issue d’une génération décomplexée, elle explose les injonctions d’une société qui traîne ses héritages sexistes. Dans Pas moi, la condition féminine est évoquée comme une implacable litanie historique « 200 000 ans sans clitoris / Autant d’années avec des dessins de bites / Qui écrit l’histoire et la science / Une bande de flemmards en confiance ». Le monde d’après prend forme sous son écriture, ceux qui éludent le débat resteront sur le bas-côté de l’ignorance et de la lâcheté.

www.facebook.com/louisadonnaaa

Jean-Hugues Mallot


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