Les 8 indispensables du numéro 104


ASKEHOUG

La rivière

(Au Raz du Silence)

On a pu le constater sur ses trois premiers albums, Askehoug a toujours su s’entourer. Pour cette quatrième production, il a fait appel à son comparse Peter Combard (guitariste de Mademoiselle K) à la réalisation. La voix n’a pas changé, elle nous enveloppe toujours délicatement pour mieux distiller sa poésie. Le titre « gainsbourien » Breizh radio reggae, les oniriques chansons Les clefs et La rivière, les percutants Et là et Un chien dans l’espace forment un ensemble réjouissant. Ironique, piquante, sensible, telle devrait être la devise de cet artiste complet qui, au travers de ces onze titres, prouve une nouvelle fois que l’originalité se conjugue parfaitement avec la qualité. Chercheur musical infatigable, Askehoug se veut plus doux et contrôlé sur ce nouveau disque, laissant la place aux émotions et à son effervescente poésie, capable de sublimer le quotidien avec un style inimitable.

https://askehoug.com

Mathieu Gatellier


PRINCESSES LEYA

Big Bang Therapy

(At(h)ome)

Nos chansonniers métalleux sont de retour avec, comme à l’accoutumée, un deuxième album affriolant de bon goût ! La bande, composée de Dedo, Antoine Schoumsky, Cléo Bigontina et Xavier Gauduel, n’a pas fini de déconstruire les clichés propres au heavy metal, et ce, de la meilleure des façons : en les embrassant d’abord, puis en leur tordant férocement le cou, avant de les revendiquer fièrement. Un voyage schizophrène aux confins de la galaxie des musiques dites extrêmes, au cours duquel on parlera successivement d’orthographe (Analfabet), de cannibalisme (Boulimie cannibale), d’onanisme (Baise tout seul) et de stérilisation masculine (Vasectomie). Bref, des sujets aussi communs qu’ils sont fatalement atypiques et bigarrés, à l’image de ce groupe pas comme les autres, dont la culture pop/geek ne cesse de nourrir le répertoire. Non seulement c’est drôle, mais d’un point de vue musical, la créativité et l’exécution sont redoutables.

www.princessesleya.com

Xavier Lelievre


MARCEL KANCHE

Un nid

(DHN)

Douzième album du rockeur ténébreux, ancien leader du groupe post-rock et jazz expérimental Un Département, qui le mena sur la scène du CBGB new-yorkais. Si Kanche a collaboré avec les Rita Mitsouko, Les Nonnes Troppo, -M-, Miel de Montagne (son fils), il a préféré suivre sa propre voie en longeant « les chemins obliques ». Toujours à bonne distance des hommes, l’artiste navigue en tempêtes et pratique les plongées en apnée. C’est dans son presbytère protestant du pays Mellois que Kanche a enregistré ces nouveaux titres rock atmosphériques, de peu de notes et de mots, d’horizons voilés, en clair très obscur, à la Bashung. Subtil autoportrait sur la complainte folk J’aurai pu, dans laquelle Kanche avoue ne « façonner que des ombres dans la glaise ». Cicatrices de guitares saturées, crépusculaires, synthé poisseux, voix murmurée, comme sur Un passage (texte de Virginie Despentes), un chaos de notes suspendues. Kanche met KO.

www.marcelkanche.com

Youri


DEMI MONDAINE

Lignes imaginaires

(La Couveuse)

Des rave parties au Cirque Électrique, des soirées au regretté bar parisien La Féline aux plateaux de The Voice, l’artiste a roulé sa bosse, plus underground que mondaine. Jamais à demi, toujours plein pot, elle explose les cadres. Cinq albums en vingt ans, sans oublier son spectacle glam et gothique Le cabaret des monstres, et désormais ces Lignes imaginaires, définitivement planantes. On retrouve sa griffe féline, parfois féroce, faite de fessées rock et de halos électro, sous tension, à l’image de son flow posé, taillé dans l’os, des déchirures de guitares électrisantes et du synthé dissonant sur Les anges. Une claque. Chez elle, ange ou démon, c’est du pareil au même. Demi Mondaine navigue des voiles acoustiques (Aquarium, une complainte bluegrass à la guitare slide, au banjo et au violon) aux transes électroniques, pop et punk à la fois, rockeuse de fragments (Le vent, la vague), toujours au bord du précipice. Inclassable.

www.facebook.com/demimondainemusic

Ben


MARILOU

Mauvaises filles

(Free Monkey Records)

C’est l’histoire d’une ado de quinze ans qui travaille dans le restaurant de sa famille, renonçant aux études. D’une jeune femme qui refuse de se marier, d’avoir des enfants, bref, de se conformer. D’une femme libre, vivant l’amour à sa manière, changeant de métier comme de chemise, jusqu’à devenir chanteuse. À 52 ans, Marilou sort son premier album, écrit, réalisé et composé par son amie Émilie Marsh. Cette collaboration est une réussite : entre ballades folk et pop, les guitares en majesté, une magnifique voix tantôt douce à la Zazie, tantôt grave à la Dani. Et comme thème de prédilection : le féminisme, à toutes les sauces. L’aspiration au grandiose dans Marilou, le polyamour dans Seconde adresse, le travail du sexe dans Chez Berthe ou encore l’ode à la désobéissance et au refus des normes patriarcales… L’album se termine ainsi par un murmure : « mauvaise, mauvaise, mauvaise fille ». Un compliment, évidemment.

www.mariloumauvaisefillemusic.fr

Marion Mayer


OLKAN & LA VIPÈRE ROUGE

Basse-ville

(Autoproduit)

Premier EP pan pan dans la tronche de ce duo rennais qui balance des pétards de techno orientale, sans jamais tomber dans le remix kebab. Ça va transer ! Les synthés mènent la danse, tandis que les cordes de la guitare et du saz mordent les tympans. Basses puissantes et percussions en syncope sur beats hypnotiques, à l’image du tribal Ascenseur ascensionnel, un dynamitage de la hadra (danse) soufie. Une dinguerie pour derviches berlinois. Le temps est à l’orage, à l’outrage, sur Crocodile logo, une traversée méditerranéenne pour évoquer ces eldorados sauve-qui-peut (« Le couteau papillonne dans la poche arrière / Belle caresse incoming à la jugulaire »). Saz et derbouka convoqués à la douane, machines incandescentes comme des lames chauffées à blanc, flow calé sur la pulse, textes elliptiques ou vers coulés dans le fer, Olkan et son dangereux rampant allument les mèches rebelles. Six titres venimeux.

www.facebook.com/OlkanVipere

Benoît Merlin


LOULA B.

Évidence

(So cute productions)

Après un premier album en 2013, un EP en 2019, voici Évidence, le petit dernier de Loula.B, créé en collaboration avec Michel Françoise (coécriture et réalisation). C’est doux comme ce couple, à la ville comme à la scène. Un duo atypique où la basse s’accorde à la voix, où la trompette s’impose, là où l’on ne l’attend pas. Une chanson pop électro, sans fioritures. Chez Loula.B, on ne triche pas. L’amour est partout et ça fait du bien. La voix de Loula est apaisante, l’émotion bien présente, et pourtant, ça envoie. Un remède qui guérirait tant de foutues maladies. Une volonté de chanter le bien, une époque heureuse et pleine d’espoir, dans une totale Évidence. Un groupe qui tourne inlassablement, sans toutefois trouver la place qu’il mérite. Il y a longtemps que je n’avais pas écouté un EP aussi beau. Impossible à comparer à qui que ce soit. Quelque chose de vraiment nouveau. D’indispensable.

www.loulab.fr

Eddy Bonin


FABIEN MARTIN

Je ne fais que marcher dans la montagne

(Littoral rec.)

« On voudrait tous éviter d’être dans les derniers de cordée. » Tout est résumé dans ces paroles que Fabien Martin sait si bien triturer. À travers une atmosphère de sentier tortueux, entouré de sommets pyrénéens, ces dix morceaux dessinent des cairns, comme des réflexions menant à la terrible conclusion : « Si je suis honnête avec moi, je dois reconnaître que le rêve n’était peut-être pas à ma portée. » D’une intégrité touchante, ce dernier album décortique sans compromis les sentiments et les épreuves de la vie. On entre dans son existence tout en frôlant la nôtre. Du génial Mémos vocaux aux duos avec Jil Caplan et Ours (Je ne fais pas que marcher dans les montagnes et Dans ma boîte noire), le piano remisé trouve à nouveau sa place. Jeff Hallam à la basse (croisé chez Dominique A) et le saxophoniste jazz Raphaël Dumont apportent à ce dernier opus la fraîcheur et la force d’un torrent printanier.

www.fabienmartin.fr

Mathieu Gatellier


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