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[Interview] Biographie Tonton David

Propos recueillis par Pierre Sokol

Tonton David Le prince des débrouillards est le nouvel ouvrage d'Alexandre Grondeau, critique musical, fondateur de Reggae.fr et auteur de plusieurs ouvrages et films documentaires de référence sur le reggae en Jamaïque et en France.

 

Pour FrancoFans, il nous présente ce livre, à paraitre le premier février 2025 (disponible en précommande sur www.lalunesurletoit.com pour le recevoir dès Noël). 

 

 

 

Votre livre Tonton David, le prince des débrouillards est la première biographie consacrée à Tonton David, figure des musiques urbaines et du reggae français, décédé début 2021.  Comment vous y êtes-vous pris pour la collecte d’informations, les entrevues ?

J’ai créé Reggae.fr en 1998 et, depuis, nous collectons et produisons en ce sens beaucoup de contenus traitant des artistes reggae, et ce d’autant plus quand ce sont des artistes majeurs du mouvement comme Tonton David qui nous avait fait par ailleurs l’honneur d’ouvrir notre film documentaire Reggae Ambassadors, 100% reggae français  (en libre accès sur reggae.fr ) avec un long interview. 

Pour écrire cet ouvrage, en plus de mobiliser ces archives personnelles, j’ai mené un long travail d’enquêtes fondé sur une centaine d’entretiens réalisés avec des amis du chanteur, des partenaires musiciens mais aussi des proches, parmi lesquels l’équipe de son premier sound system le High Fight International (Polino, Nuttea, Féfé Typical), les copains Pierpoljak, Princess Erika, Supa John, Erick Siar, Francky Ghetto Youth, les membres du Ragga Dub Force son premier groupe, Ramses (Saï Saï), Yovo M’Boueke, Benjamin Chulvanij, tous ses anciens producteurs (dont certain que j’ai retrouvé dans le Bronx ou au fin fond du Sénégal) et beaucoup de proches de la dernière partie de sa vie où il s’était fait rare et tentait depuis quinze ans de sortir un nouvel album. J’ai également visionné plusieurs centaines d’heures d’archives INA. Ce livre ne prétend toutefois pas à l’exhaustivité, il reflète mon point de vue et mon opinion sur l’incroyable carrière et destinée de Ray David Grammont.

   Peut-on parler d’un livre « hommage » ?

Je dirai plutôt que c’est un livre qui rend justice à cet artiste majeur de la chanson française que la ministre de la culture de l’époque avait oublié d’honorer à sa mort (aussi incroyable cela est-il, c’est Princess Erika qui a dû reprendre au vol Roselyne Bachelot sur twitter -aujourd’hui X- pour qu’elle s’exprime en mémoire du tchatcheur parisien).

Le livre revient sur les différentes parties de la vie du chanteur, sans compromis, sinon d’éclairer le lecteur sur des anecdotes toutes plus folles les unes que les autres. Tonton David a eu mille vies, il lui est arrivé des choses complètement dingues, il a fréquenté des personnalités incroyables, s’est retrouvé dans des histoires irréelles. Il aurait pu être un personnage des films d’Audiard. Pour être tout à fait honnête, si je n’avais pas été contraint par mon éditeur à un nombre de pages précis, j’aurais pu écrire un livre de plus de 1500 pages.

En conséquence, je ne sais pas si on peut parler de livre hommage mais en tout cas, c’est ma contribution à la mémoire de Tonton David et à la réhabilitation de sa carrière.

 

 

 

 

Pouvez-vous parler de la chanson et du clip Peuple du monde, réalisé par Matthieu Kassovitz, qui à l’époque avait 23 ans ?

J’ai une anecdote étonnante sur le tournage de ce clip. Le label de Vidda à l’origine pensait faire appel à un premier réalisateur qui est vite écarté par David et Benny Malapa son producteur (celui qui a également produit la compilation Rapattitude) car les idées proposées ne correspondaient pas du tout au mouvement hip hop et raggamuffin émergents. En parallèle, un jeune réalisateur talentueux mais qui à l’époque n’a réalisé qu’un court métrage, Fierrot le Pou, Mathieu Kassovitz, apprend qu’on cherche un réalisateur pour ce projet. Malin, il contacte Benny Malapa sous prétexte de lui acheter les droits d’un morceau (Rouleur à l’heure, de Saï Saï) pour son prochain film.

 

Une fois le contact établi, il se positionne sur le tournage du clip de Peuples du monde. Son idée est simple : montrer le quotidien de la vie d’un débrouillard (Vidda) entre breakdance, graffiti, référence au continent-mère africain, ghetto blaster, bande de potes ou encore harcèlement policier. L’équipe de Tonton David est séduite et le tournage s’opèrera sur le parvis de la défense à Paris avec tout le High Fight International sound system. Peuples du Monde rentrera au Top 50 début 1991, soutenu par de nombreux passages radio, mais c’est la chaîne de télévision M6, qui intègre très rapidement le clip de David en haute rotation, et le met véritablement sur orbite en contribuant largement à son succès.


Quelques mots sur le carton de 1994, Chacun sa route,  avec Geoffrey Oryema et Manu Katché ?

Le plus incroyable dans l’histoire de la production de ce titre, c’est qu’il aurait pu ne jamais sortir ! Au départ, la maison de disque à la manœuvre, bien que consciente du tube qui vient de lui être présenté, souhaite que le morceau ne soit pas posé sur une version instrumentale reggae. Pour David, le choix est clair et définitif : le morceau sera reggae ou ne sera pas. Les négociations vont être longues et difficiles et je raconte dans le livre comment finalement, après un rebondissement digne d’un film de Hitchcock, le prince des débrouillards obtient gain de cause.

Quand le single sort, c’est un véritable raz de marée cinématographique et discographique. Un Indien dans la ville explose le box-office avec plus de huit millions d’entrées.  Chacun sa route, chacun son chemin fait double disque d’or, puis disque de diamant avec plus de 350 000 ventes et de très nombreux passages radio.