
YOANNA
Au bord
(Matcha)
L’eau est l’un des meilleurs thèmes lorsqu’on apprécie les belles métaphores. Yoanna s’est emparée du sujet pour composer ce somptueux album. À ses côtés, Mathieu Goust, « paysagiste » musical, amène le son de l’accordéon de la chanteuse hors des clichés. Avec ses arrangements plus électro flirtant avec le triphop et sa voix doucereuse, Yoanna fait penser par moments à Portishead. La poétesse a mis un soupçon d’eau dans son vin, alors qu’elle semble raconter un parcours de résilience. Laver ses souffrances comme on nettoie son linge (Au bord), même lorsqu’on a touché le fond (Nager), prendre conscience du mal qu’on subit (Boîtes à crabe), pour aller vers le bien, les amours, les amitiés (Il.e, Mon amie), même lorsqu’on nous balance des Paroles en l’air. L’important est de se faire du bien (Paresse). Embarquez dans ces métaphores réalistes, car même si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, on nage dedans, et on prend ce qu’elle a de beau.
Stéphanie Berrebi

ARTHUR FU BANDINI
Ça n’a jamais été mieux avant
(Autoproduit)
Gober. Un titre coup de poing, une hallucination tous terrains musicaux, un truc de cinglé, voire un coup de génie. Kung Fu Bandini. Voyons ce que l’ovni et « poète punk » tente de nous faire avaler : synthé poisseux et rock revêche à mi-chemin entre Alain Bashung et Ian Dury sur l’intro, avant qu’un riddim reggae midtempo sous réverbe et volutes grass n’emporte le space cake. Puis ça part sur une baffe psyché-rock, limite drum’n’bass bien velue. Si les sept chansons de cet EP s’inscrivent dans cette veine éthylique, ce morceau molotov place la barre très haut. « Réussir, c’est quoi ? », scande-t-il. Gober, dans tous les sens du terme, peutêtre. Après avoir baladé son galure sur les scènes indés au sein du groupe Moonsters et du duo Soleil Bleu (avec sa compagne Lou Lesage), le trentenaire se la joue désormais solo pour dérouler ses textes post-surréalistes sur des instrus de dingo, en halos hypnotiques. Fu Bandini, c’est bien barré.
Ben

VLAD
L’enfer est pavé
(Modulor Records)
Avec L’enfer est pavé, VLAD propose un subtil mélange d’humour décalé et de critique sociale affûtée. Enregistré dans l’isolement de la Corrèze, cet album ne se contente pas de fusionner les réalités fictives du Vladkistan avec le monde réel, mais s’en sert comme d’un miroir pour réfléchir aux questions politiques et sociales actuelles. Ce qui frappe dans cet album, c’est la manière dont l’artiste joue avec les genres musicaux, naviguant d’un accordéon trad’ au flow du hip-hop. Dans sa bio, l’artiste évoque un projet étant pavé « des pires intentions », mais « avec la plus grande douceur possible », affichant une dualité intrigante, à la fois acerbe et enveloppée d’une légèreté trompeuse, capable de déstabiliser tout en amusant. Nul doute que le pavé qu’il jette dans la marre, où se mirent les utopies d’idéaux déchus, ne saurait passer inaperçu, non seulement au regard de sa musique, mais aussi pour la réflexion qu’il suscite.
Emma Forestier

IAROSS
Ce que nous sommes
(Le Cri du Charbon)
Avec son mélange subtil de sonorités, ce cinquième album promet un incroyable voyage auditif. La trompette de Guillaume Gardey de Soos, nouvelle recrue au sein du groupe, s’inscrit harmonieusement dans le balancement typique des compositions de Iaross. Les mots slamés et chantés, empreints d’une mélancolie poignante, portés par la voix d’Adil Smaali, évoquent les luttes et les espérances des âmes errantes. Les paroles résonnent tels des échos de désespoir, mais aussi de résilience (« Nous, voyageurs égarés, vagabonds de l’existence »), cette inlassable quête de sens donnant vie à un son organique. Ce projet s’attache à redécouvrir les racines rock du groupe et de son leader, tout en intégrant des influences de musqiues créoles, occitanes et arabes. Cet album est une invitation à ré-fléchir sur notre place dans le monde, un hommage poétique aux démunis qui prennent la mer à la recherche d’un avenir meilleur.
Céline Dehédin

PIERRE LAPOINTE
Dix chansons démodées pour ceux qui ont le coeur abîmé
(Pépiphonie / Audiogram)
Après ses Chansons hivernales, Pierre Lapointe continue de jouer avec nos émotions en composant « dix chansons démodées pour ceux qui ont le coeur abîmé ». Si l’amour est un thème récurrent, Pierre Lapointe aborde aussi les sujets difficiles comme la maladie notamment, avec la chanson, Comme les pigeons d’argile, dans laquelle il s’adresse à sa mère, atteinte d’Alzheimer (« Quand tes souvenirs se seront tous envolés / Moi, je serai là pour te les raconter »). Mais aussi la mort, avec Madame, bonsoir, titre dans lequel Pierre converse avec elle : un instant qui pourrait sembler irréel, mais que chacun peut vivre jusqu’à sa propre fin. Les arrangements et la réalisation sont signés par son fidèle comparse Philippe Brault : ce dernier réalise un travail perlé qui sublime la voix de Pierre, une voix sucrée comme sur Les étoiles guident les âmes, rappelant la patte du grand Michel Legrand. Sublime !
Laure Boulaud

SOLANN
Si on sombre ce sera beau
(Cinq7)
« Si j’écris des chansons quand ça va bien, elles sont mauvaises », nous confiait Solann l’été dernier. Vu la qualité de son album, on s’inquiète pour son moral. De l’EP que nous avions adoré, elle a gardé Rome et Petit corps. Les onze autres titres sont inédits et toujours aussi ensorcelants. « Si on sombre, ce sera beau », annonce-t-elle au début du disque, avant de se réfugier « comme une gamine dans les bras de [sa] mère », Mayrig en arménien, dans un morceau aux sonorités orientales, dans lequel elle est accompagnée par des choeurs sublimes. Elle aborde aussi des thèmes difficiles, comme le viol dans Les draps (« Certains veulent mourir dans leur lit / Moi j’l’ai fait j’recommande pas l’expérience »). Parfois plus pop, elle revient au simple ukulélé-voix (Insomnies, Appelle-moi sorcière), pour ensuite Tout cramer, surtout Les ogres, « qui ont mangé le monde », deux morceaux révolutionnaires sur lesquels on se verrait bien danser.
Marion Mayer

IGNATUS
Dans les virages
(Ignatub)
Découvrir un album d’Ignatus est toujours une expérience à part entière. Avec ses douze titres, Dans les virages ne fait pas exception. Fidèle à sa vision artistique, Ignatus fait de chaque chanson un concept, un jeu, un défi, tant dans la musique que dans le texte. On passe d’un morceau surréaliste comme Château mou, à une chanson piano-voix d’une grande douceur avec L’ombre, en passant par une histoire racontée en musique par Isabelle Nanty dans Mes Mots. Musicalement, Ignatus jongle avec sa guitare, son piano et des sons électroniques. Exemple avec Dans les virages, une fresque poétique, une palette de couleurs musicales, une invitation à la création. Car un rien inspire Ignatus : une peinture, une rencontre, une photo. Même un article de journal peut l’amener à écrire. Et bien loin de succomber aux méandres d’une écriture qui rendrait tout auditeur imperméable à ses mots, Ignatus réussit à nous toucher avec sa poésie du quotidien.
Augustin Bordet

BEN MAZUÉ
Famille
(Sony)
Chaque album de Ben Mazué est comme une série dont on attend impatiemment la nouvelle saison. Notre héros, un peu torturé, mais à la recherche du bonheur, dévoile ses pensées et ses combats, parfait reflet des nôtres. Ben semble apaisé depuis sa séparation. Il se débarrasse de ses démons (Cette guerre), trouve son équilibre, se recentre sur sa Famille, celle qui est toujours là malgré les hauts et les bas. Il s’adresse tendrement à ses fils (C’est l’heure), évoque cette fille qu’il aurait aimé avoir dans le touchant Cécile gagnant. Il regarde dans le rétro, avec tendre nostalgie (Tony Micelli). L’album passe d’arrangements épurés à des orchestrations magistrales, mêlant l’organique à l’électro, reflets impeccables des reliefs d’une vie, de nos guerres psychiques à nos béatitudes, de la nostalgie heureuse aux regrets. Pas de cliffhanger final, mais une sensation d’être toujours bien accompagné par ce pote, ce héros de la génération Y.
Stéphanie Berrebi
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