
BILBAO KUNG-FU
Où est passée l’innocence ?
(Le Cèpe Records)
Quand certains cherchent leurs pantoufles (t’as la réf ?), d’autres semblent pousser le curseur des questions métaphysiques un tantinet plus loin. Qu’à cela ne tienne, il n’y a point de sous-quête n’est-ce pas ? Bilbao Kung-Fu : voilà un nom qui annonce d’emblée la couleur d’un voyage qui sera copieusement déjanté, ou ne sera pas. Pour son premier album, le quatuor bordelais fort agité soigne son entrée dans le game et présente quatorze petites bombes, avec ou sans retardement, alliant avec brio l’efficacité de refrains mélodiques et entêtants avec une puissance de frappe frénétique. Exaltée. Vénère, quoi. BKF, c’est une sorte de Téléphone sous amphétamines, qui aurait avalé tout cru King Gizzard & The Lizard Wizard sous l’oeil complice d’un Thee Oh Sees. Une ode magnifique au what the fuck et au rock’n’roll, qui ne laisse qu’entrevoir l’énorme série d’uppercuts que distribue le groupe sur scène.
Xavier Lelievre

CLOÉ DU TRÈFLE
La lueur
(Autoproduit)
Et dans les ténèbres, il restera La lueur. C’est Cloé du Trèfle qui la garde, protégée des assauts malveillants. L’artiste est tout simplement puissante. Compositrice et productrice avec six albums au compteur, cette Belge francophone n’aime pas les chemins dociles. N’est-ce pas elle, furieusement engagée, qui s’en est allée sous climat de confinement et de Covid jusqu’à lancer sa propre marque de vinyles recyclés ? Sur le terrain musical et dans l’univers chanson, Cloé du Trèfle met tout le monde d’accord avec ces douze titres : on est face à du grand-œuvre. La multi-instrumentiste et poétesse joue avec nos nerfs, nos certitudes. Le monde chaotique peut-il être sauvé par une énorme bouffée d’empathie ? Chantée, scandée, électro, portée par chacun des titres pour que nous comprenions qu’« être les doigts qui apaisent », ça peut suffire à nous cajoler et à nous faire renaître au monde.
Lucien Clément

ANTOINE CORRIVEAU
Oiseau de nuit
(Secret City Records)
Il y a des artistes qui font de la création une constante obligation de se réinventer. Ne jamais se répéter, ou le moins possible. À l’instar de Jean-Louis Murat et de son Travaux sur la N89, qui avait désarmé et qui s’était finalement imposé comme un chef-d’oeuvre, cet Oiseau de nuit a tout pour devenir un pari osé et gagnant. Ça dissone souvent, les guitares s’entremêlent aux boucles hip-hop et aux rythmiques jazz. Les personnages multiples vont et viennent dans une ambiance onirique et jouissive. L’auteur-compositeur-interprète québécois s’amuse à nous surprendre et à nous emmener là où on ne s’y attend pas. Forcément, ça désarçonne, ça met des claques, et on en redemande. Oser tout éclater quand nos cerveaux sont formatés au zapping est une performance en soi. Quand le talent s’y met, l’album devient une référence. Antoine Corriveau frappe un grand coup, on applaudit !
Mathieu Gatellier

RIT
Hobo blues
(Label d’à Côté / Wiseband)
Qui a dit que la France n’est pas une terre de blues ? Gâchette du Far Sud-Ouest, cet homme-orchestre (guitare, harmonica, grosse caisse au pied) prouve le contraire de fort belle manière. Voilà un son qui suinte bon la tourbe. Du vieux Delta blues taillé dans l’os, rural à souhait, flirtant avec les sons du bluegrass, du bayou et de la folk. Un style salopette chopé dans la garde-robe des papys de la blue note qui regardaient passer les trains en rêvant d’attraper le wagon de la liberté. Ce voyage dans le (quatre) temps s’ouvre sur Huckleberry Finn blues, l’ancien nom de scène de RIT, une complainte poisseuse, salie d’une légère disto, pour électriser les juke joints du siècle coton. Shuffles groove ou fiévreux (Le fond et la forme, Danse), penta tout aussi tonique que funambule, lézardes de guitare slide, les douze mesures en prennent plein le cornet dans un grand écart entre le blues old school et sa version 2.0. Y a un vagabond dans le TGV !
Ben

CAMION BIP BIP
Mabel
(Cry Baby)
Et si le prochain mouvement musical avait pour caractéristique, pour une fois, de ne pas se définir par l’esthétique musicale, mais par le propos ? Si en réaction à l’état du monde – la montée des totalitarismes, la catastrophe climatique annoncée et la critique du patriarcat – une génération choisissait de se reconnaître dans les valeurs et les mots plus que dans un look ou une identité sonore ? Mixant sonorités électro, évidence pop et esprit punk à une identité queer, Camion Bip Bip, à l’instar de TedaAk ou Akira & le Sabbat, crée une véritable politique du dancefloor à la fois militante et jubilatoire, comme le télescopage des Enfants de la Terre avec Superbus ou de Guy Debord avec Sexy Sushi. Avec la fête comme catalyseur de la lutte et terreau de nouveaux récits. Ou quand l’efficacité de refrains pop le dispute à la rage des couplets pour décrire l’âpreté des combats des minorités et l’énergie joyeuse de la résistance. Subversif.
Alex Monville

LES OGRES DE BARBACK - LA RUE KÉTANOU
Tout en commun !
(Irfan)
Si FrancoFans organisait les Victoires de la musique, il ne ferait aucun doute que la tournée Tout en commun ! aurait gagné le prix de la tournée de l’année. Les deux groupes prennent autant de plaisir à être sur scène que nous à profiter de cet instant d’une évidente complicité. C’est au Bénin, en 2020, que l’idée de cette tournée commune prend forme, avec l’écriture du titre commun Gbaou Gbaou, en ouverture de ce live. Il y a là des classiques tels Almarita ou Impossible de La Rue Kétanou, Accordéon pour les cons ou 3-0 (revisité et réunissant des invités prestigieux) pour Les Ogres. Peuple migrant et Perle rare sont deux morceaux réunis en un par un riff entêtant aux sonorités afro. Le métissage de la musique de ces neuf artistes est débordant d’énergie, riche de sonorités diverses. Cet objet montre que tout cela a bien existé : cette tournée dont on rêvait sans s’imaginer qu’elle pourrait avoir lieu un jour !
Stéphanie Berrebi

CHICHI & BANANE
Littérature de ficelle - Volume 2
(Manivette Records)
Si comme moi, vous n’avez jamais mis les pieds à La Ciotat, posez ce livre-disque sur la platine et fermez les yeux. Une poésie provençale s’installe tranquillement. Vous entendez les cigales ? Chichi promène sa gouaille le long du port et des onze histoires gorgées de soleil. Galéjades et jeux de mots à gogo (« Vomit soit qui mal y but ! Elle est plus rhum que romantique », dans Comptine du Bar à Tine). Banane au banjo et autres cordes sublime le tout. Ça y est, vous y êtes. Ça fleure bon le pastis et la pétanque. Des histoires à vous donner l’envie de demander la nationalité ciotadenne. Maintenant, vous pouvez rouvrir les yeux et vous délecter des magnifiques dessins du peintre Blu-S-Attard. Caricatures du quotidien. Le tout sous la direction artistique de Moussu T du Massilia Sound System. Vous venez de vivre une expérience exceptionnelle. Un parfum de vacances. De bonheur.
Eddy Bonin

LES CHASSE PATATES
Nouveau vélo
(Autoproduit)
Depuis dix ans qu’ils « rock’n’roulent », Les Chasse Patates en ont sous la pédale wah wah et pas question pour eux de bâcher. Avec ce Nouveau vélo, ils vont pouvoir rapporter le maillot jaune à la maison. Ils donnent un coup de cul, sans chaudière et font la lessive en fumant la pipe. Ça se grimpe en danseuse et ça se descend comme une bonne bière bien fraîche un dimanche de Tour de France. Croyez-moi, ils ne resteront pas longtemps en croustille tant ils tirent sur la meule. « Bikes lives matter », comme ils le chantent avec leurs chaussettes en titane. Avec eux, on n’est pas là pour compter les pavés. Les Chasse Patates, ce sont quatre musiciens (Marcel et son Orchestre, Lénine Renaud), deux commentateurs, et trois animatrices originaires de « l’enfer du Nord ». Ils font du rock en écrasant la pédale, en échappée libre et, à l’inverse des terres hostiles et désolées des Hauts-de-France, ils sont joyeux comme une baraque à frites.
Sam Olivier
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