
VILLA FANTÔME
Seconde zone
(At(h)ome)
Pour convaincre les boomers de s’intéresser à cet album, il suffira de rappeler que Villa Fantôme constitue le nouveau projet de Manu et Pierrot, fondateurs de la Ruda Salska, ce groupe majeur de la scène rock française de 1993 à 2012 aux mille concerts. Pour les autres, quelques rappels s’imposent. Préciser qu’en décembre 1979 sort un des disques qui vont bouleverser le rock, London calling des Clash, et influencer durablement des centaines d’artistes. Villa Fantôme est de ceux-là, entremêlant urgence punk, skanks reggae, passages quasi dub et riff rock magnifiés ici par une trompette, un air calypso ou un son d’orgue Farfisa. Loin d’être un simple exercice de style ou un hommage ampoulé, ce disque sobre, ramassé et diablement efficace saura ravir tout à la fois les nostalgiques du début des années 80, les orphelins de La Mano Negra et tous les accros à l’énergie de la scène alternative.
Alex Monville

FEU! CHATTERTON
Labyrinthe
(Universo Em Fogo / Virgin)
Groupe né d’une amitié lycéenne entre Arthur Teboul (écriture et chant), Sébastien Wolf, Clément Doumic (guitares, synthés), Antoine Wilson (basse) et Raphaël de Pressigny (batterie), Feu! Chatterton fête ses quinze ans de carrière avec la sortie de ce 4e album. Coréalisé par Alexis Delong (Zaho de Sagazan), il puise sa substance dans la « folle espérance » de l’enfance. Les textes poétiques d’Arthur Teboul questionnent notre rapport à la société. Le titre d’ouverture, Allons voir (« N’ayons peur de rien »), donne le ton avec son ambiance de rock psyché. Certains titres sont déjà des classiques : À cause ou grâce ou le revers de l’idéal, Mille vagues sur la mort d’un être cher, Le carrousel (« vieux qui ne veut plus tourner ») sur la nostalgie d’une vie. Avec Labyrinthe, Feu! Chatterton livre un grand album mélancolique (Monolithe, Sous la pyramide) aux arrangements musicaux charnus : synthé-pop, rock, électro, jazzy.
Sam Olivier

MALKA FAMILY
Planète claire
(Shabshal)
Si la France, au détour des années 90, a su accueillir à bras le corps le tournant esthétique majeur que fut l’arrivée du hip-hop, force est de constater qu’il n’en est pas de même pour ses illustres aînés que furent le disco ou la funk. Si le rap est actuellement encore la musique la plus streamée, force est de constater que les groupes français ayant réussi depuis quarante ans à marier sens du groove avec la langue d’Orelsan se comptent sur les doigts d’une main. Malka Family en fait partie. Portée disparue depuis 1997, cette formation revient plus en forme que jamais, pour une véritable démonstration de son savoir-faire. Des cocottes de guitares aux riffs de cuivres, du travail de mélange des voix - homme-femme, chœurs en rythmiques de plomb, d’arrangements de violon à la mode disco en effets robotiques et en plages de breakbeat, les darons de la Malka donnent la leçon, et c’est foutrement bon. Tout le monde sur la piste de danse !
Alex Monville

FIL
J’aime
(L’un dans l’autre)
Il en a fait, du chemin, depuis la fin de La Tordue au début du siècle, notre Éric Philippon, dit Fil. Après avoir côtoyé les plus grands chanteurs poètes, de Benoît Morel à Loïc Lantoine, en passant par la mise en musique des textes de Gaston Couté, il se jette dans le grand bain des auteurs-compositeurs. Le premier titre, J’aime, à l’ambiance folk, évoque La Maison Tellier dans sa douceur cuivrée. Le son clair de la guitare est le fil rouge de ce disque ponctué de morceaux totalement instrus (Le passage, Rêve orange). L’instrument, accompagné de petites touches électro, nous permet de naviguer au fil des pensées de Fil, qu’il rende hommage à sa grand-mère disparue dans Mémé ou aux résistants qui ont fait et font l’histoire dans Les inconnus. De la beauté du monde (J’aime), de l’amour (Toujours) ou du quotidien (En un mot), Fil est un rêveur qui choisit la douceur et la lumière face à l’obscurité de l’époque.!
Stéphanie Berrebi

ROBI
Mantra
(FRACA)
En 2014, elle était couronnée du prix Georges-Moustaki pour son album L’hiver et la joie, dont l’entêtant et psychédélique On ne meurt plus d’amour avait convaincu nos écoutilles. Le 7 novembre, Robi sort son 5e album, Mantra, long poème mélancolique et électro-pop, chez FRACA, le label indépendant et féministe qu’elle a fondé avec Katel et Emilie Marsh en 2018. On retrouve ses guitares électriques et sa voix grave portée par de discrets chœurs féminins dans Vers où aller. On s’envole avec Obsessions, que la réverbe et le synthé rendent cinématographique, évoquant parfois Feu! Chatterton. Plus tard, la voilà qui plonge dans l’univers de Dani avec le son rock et saturé de Je crie. D’inspiration eighties dans L’amour comme à la guerre, les sonorités de Baise frappent par leur modernité. Tout au long des morceaux, on se délecte de ses allitérations. L’album prend de l’ampleur. Dans Vivre, les chœurs se font désormais explosifs. Cri de vie répété à l’envi.
Marion Mayer

EIFFEL
La peur et le vent
(Seed Bombes Music)
Le temps est à l’orage. Sur les pavés comme dans ce quatorzième album d’Eiffel, tour et vigie du rock francaoui. Inspiré d’une citation de Louis-Ferdinand Céline (« À travers les rêves, la peur et le vent », in Londres), ce nouveau brûlot de la bande à Humeau tabasse plein fer, dans la disto, les chicots et le ciboulot, pour évoquer les craintes et les conneries collectives, tout en invitant à la rébellion poétique (Interstellar). Exemple avec le titre éponyme, un rock bien « rough » balancé par une guitare sauvageonne, où l’on retrouve la griffe mélodique d’Eiffel, cette façon de briser la grille d’un accord ouvert, d’une dissonance, d’un dérapage harmonique. Humeau, d’humeur insoumise ? Sans blague. Plume incisive et pinceaux dans Luxe, calme et volupté, clin d’œil à Matisse à travers le portrait pointilliste d’une « shampouineuse des flashs ». Instrumentation nerveuse, orchestration sous tension, textes à fleur de peau, mots chassés-croisés… Coup de poing et de cœur.
Ben

CLAIRE DITERZI
Fille de
(Je garde le Chien)
Diterzi, reine des décalages. Compositrice-conteuse, metteuse en scène, guitariste à la griffe singulière, naviguant du rock alternatif au répertoire lyrique. Orfèvre du théâtre musical, du concept album. Pour cette huitième fresque en solo, qui constitue également la trame de son nouveau spectacle Anny Karénine, Diterzi imagine le parcours de la fille d’Anna, après le suicide de cette dernière. Que deviendra l’héritière, qui rêve de devenir batteuse de rock ? Au fil des péripéties entre la Russie et la France d’aujourd’hui, au son des échos et des dialogues fantomatiques, Diterzi brosse le portrait d’une jeune femme en quête d’affirmation et d’émancipation. Portée par les chœurs bulgares pas si orthodoxes que ça, la balalaïka et la guitare électrique aux sons tordus, les machines et le thérémine, Claire Diterzi reprend le fil de Tolstoï avec sa patte rock et synth-pop onirique, à l’image de la reprise en apesanteur et liturgique d’Envole-moi.
Youri

BENJAMIN BIOLAY
Le disque bleu
(Virgin / Universal)
Avec Le disque bleu, son onzième disque studio en solo, Benjamin Biolay signe une véritable odyssée musicale. Ce double album de 24 titres, répartis en deux volets - Résidents et Visiteurs -, oscille entre pop française et chaleur sud-américaine, reflet des multiples escales d’enregistrement : Paris, Sète, Bruxelles, Buenos Aires et Rio de Janeiro. Biolay déploie ses mélodies puissantes, nées de la complicité avec des musiciens brésiliens, argentins et paraguayens, puisant dans les rythmes d’Amérique latine. Il nous embarque dans ce voyage en chanson, porteur de nostalgie, convoquant Gainsbourg (Morpheus tequila, Résidents visiteurs), Salvador et Jobim (Mauvais garçon). Il reprend Brassens (Les passantes), met en musique Louis Aragon (Oh la guitare) et partage une bossa avec Jeanne Cherhal (Où as-tu mis l’été ?). Les textes mélancoliques, crus et poétiques, font de ce Disque bleu un grand album-somme, flamboyant et déterminant.
Sam Olivier
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