Hubert-Félix Thiéfaine à Bercy - 22 octobre 2011


Il s’est octroyé il y a de cela bien longtemps une autorisation de délirer, un blanc-seing, qui lui permet de dériver, fantasque, au fil d’une carrière pour le moins étonnante. Il, c’est Hubert-Félix Thiéfaine, Hubert pour les intimes et pour les aficionados qui le suivent, fidèles dans toutes ses balises et dans toutes ses mutations. 
La dernière en date se trame sous les traits d’une tournée et d’un album à l’image détonante : celle d’un homme torse nu qui se livre à l’instar peut-être de la formule de Montaigne qui affirmait, dans la préface des Essais, se peindre “tout entier et tout nu”. Mais, au-delà des tentations autobiographiques et des écrits palimpsestes, la musique fut-elle un peu symphonique ce soir-là sous l’égide d’un Bercy enflammé, elle s’inscrit également en rock’n’roll majeur dans ce joyeux oxymore nimbé de poésie électrique. 
Dans le chaos des sensations et des émotions, difficile de rendre cette soirée d’exception. Il faudrait peut-être commencer par le début, quand, les lumières du Palais Omnisports de Paris Bercy s’éteignent et que résonne “Annihilation” aux accents rageurs, vision pour le moins cynique du “métier” de chanteur, hymne à la solitude et à la folie intime qui hante l’auteur, le poète. Le public s’embarque alors, presque clandestinement dans les trames d’un voyage de nuit, nyctalopus airlines, frissons garantis quand, sur le fil du rasoir, les dingues, les paumés, l’étranger dans la glace et autres Lorelei se dessinent dans la nuit des mélancolies. La lueur des sunlights s’irise dans les couleurs de l’alchimie des coeurs et touchent la corde sensible quand Lucas, ex Tita Dong Dong, le fils de Thiéfaine, vient taquiner la guitare dans le velouté des “Mathématiques souterraines”. Moment d’émotion et vibrato dans la voix, à l’unisson des guitares acoustiques. Les transports des voiles infinitives et des petits matins parachèvent le tableau dans l’azur des sentiments. Le poète s’y livre, intimement, doucement dans un élan presque confidentiel, drôle de paradoxe devant un public venu si nombreux. Il est question d’amour, il est question de mort, ironique, Thiéfaine s’en amuse un rien entre deux chansons. Puis, sous l’égide d’Alice Botté et de ses guitares pour le moins magiques, le rock’n’roll reprend ses droits, solos à la clef avec, parfois, la furieuse envie d’en découdre comme sur “113e cigarette sans dormir” aux accents punkoïdes. C’est là tout le contraste :  les textes tendres se disputent avec des brûlots acérés, la provocation se tapit aux entournures, malicieuse, dans le regard du fou qui s’étiole qui dans les mélopées, qui dans le rock’n’roll. La présence de JP Nataf, invité sur deux chansons qu’il a composées, ne dément pas ces furieuses envolées et, quand “Les ombres du soir” se projettent sur Bercy, c’est, le souffle court, que l’on boit le calice. La fille du célèbre coupeur de joints annonce la fin du show, encore un ultime rappel et Thiéfaine sort victorieux d’un beau match remporté ce soir-là, les étoiles dans les yeux, des flèches dans le coeur. Paris, Bercy, deuxième round. L’homo Plébis Ultimae Tour continue et reviendra bientôt nous retourner dans les tréfonds de l’âme, là où les corbeaux croassent, par un minuit lugubre... 
 
 
Florence Marek